Une rare expérience syndicale: la grève à l’école secondaire Honoré-Mercier

Anthia Camiré, enseignante et Loïc Michaud-Mastoras, enseignant

Nous sommes une enseignante et un enseignant qui travaillons à l’école secondaire Honoré-Mercier dans le quartier Ville-Émard–Côte-Saint-Paul, un milieu défavorisé du sud-ouest de Montréal. Notre syndicat local est l’Alliance des professeures et des professeurs de Montréal (APPM) et celui-ci est affilié à la Fédération autonome de l’enseignement (FAE). Nous avons été en grève générale illimitée pendant un mois à la fin de l’automne dernier.

Notre engagement dans cette grève fut modeste. À l’annonce de la grève, nous avons senti l’urgence de dire, de faire et de proposer. Nous avons voulu confronter notre soif pour un monde meilleur à ce moyen – la grève générale illimitée – qui fut jadis le moyen par excellence pour transformer le monde. Notre bannière Nous portons un monde nouveau dans nos cœurs nous a permis de nous rassembler autour d’un très vague programme politique commun.

Notre action fut improvisée. Nous ne connaissions pas bien nos organisations syndicales et les règles qui les régissent. Nous ne sommes pas parvenu·es à nous organiser au-delà d’un petit nombre de collègues à notre école, puis d’un petit groupe d’ami·es d’ami·es lié·es de près ou de loin au militantisme étudiant des années 2010. Surtout, à aucun moment nous n’avons senti que nous pouvions, en tant qu’enseignant, en tant qu’enseignante, influer sur le cours de la grève.

Mais malgré le peu de résultats tangibles, malgré de petites erreurs et de longues tergiversations, malgré des mots de travers ou de plates chicanes entre collègues, nous ne regrettons pas d’avoir voulu essayer des choses et d’avoir voulu connaître quelles formes pourrait prendre le syndicalisme à notre époque. Au milieu de cette masse de tuques rouges qui ignoraient tout de ce que les bureaucrates discutaient ensemble aux tables de négociations, nous avons défendu une autre conception de la lutte, une conception dans laquelle les décisions politiques et stratégiques pouvaient être prises différemment qu’en catimini tout en haut de l’appareil syndical.

Et maintenant, nous pouvons tirer des conclusions de notre expérience. Tel est l’objet de ce texte.

En attendant la grève…  

C’est en mai 2023 que les membres de l’APPM se sont dotés presqu’à l’unanimité d’un mandat de grève générale illimitée. On va le dire d’emblée: à ce moment-là, nous ne croyions pas que la grève aurait lieu. Après tout, cela n’aurait pas été la première fois que l’exécutif syndical aurait obtenu d’une assemblée un mandat de grève générale illimitée non pas pour l’exercer, mais plutôt pour le brandir comme menace à des fins de négociation. C’est ainsi que le libellé généralement proposé – un déclenchement de grève au moment jugé opportun – retire des mains des membres du syndicat la décision de recourir à la grève pour qu’il n’appartienne plus qu’à l’exécutif. Et c’est d’ailleurs ce qui s’est produit cet automne pour les 420 000 travailleuses et travailleurs du Front commun, dont de nombreuses collègues enseignantes, qui ne partirent jamais en grève générale illimitée malgré les nombreux mandats votés en sa faveur. Et c’est d’ailleurs ce qui s’était produit lors de la négociation précédente alors que l’APPM et les huit autres syndicats locaux membres de la FAE avaient obtenu à forte majorité des mandats de grève générale illimitée.

Dans les mois précédant la grève, nous n’avons pas non plus observé une volonté de bâtir une mobilisation à la hauteur de la radicalité du moyen de lutte qu’est la grève générale illimitée. Bien sûr, le syndicat a voulu inclure les profs dans les habituels moyens de pression qu’il utilise à chaque négociation et qu’il avait préalablement pris soin de faire adopter dans une assemblée générale où les consignes de l’exécutif sont toujours suivies à la lettre. Mais ces “moyens de pression” étaient à l’image de la grève à venir. On allait porter des t-shirts à l’effigie du syndicat et suivre les ordres venus d’en haut. Lorsqu’on nous disait: plus question de faire des activités le fun avec les élèves à l’extérieur de l’école, on suivait. Lorsqu’on nous disait: allez marcher dans le quartier avec de la marchandise à l’effigie du syndicat, on suivait. Lorsqu’on nous disait: participez à ces rencontres-là avec la direction mais pas à celles-là, on suivait.

Pendant ce temps, il n’existait aucun débat, entre collègues, sur la stratégie à adopter. Nous demeurions dans l’attente. On ne discutait pas de l’éventail possible de moyens de pression – et encore moins d’éventuelles actions de perturbation. Pas le moindre canal de communication n’était créé entre les futur.e.s grévistes et les parents. Parce que le syndicat avait peur de dérapages éventuels, les domaines de l’action et de la réflexion politiques ne devaient appartenir qu’aux élu·es; la discussion publique, qu’à nos chefs et aux médias.

Ainsi, au mois de septembre 2023, sans consultation préalable des membres, l’ensemble des revendications ont été simplifiées dans le cadre d’un élagage du cahier de demandes. Malgré cela, le nouveau cahier de demandes demeurait si mal écrit, si peu réaliste et si peu conforme avec les vagues priorités défendues dans les médias par les dirigeants des syndicats, que le corps enseignant n’a jamais su quelles étaient concrètement les revendications dont la satisfaction mènerait à une entente de principe. Non seulement le choix des revendications minimales de la grève n’appartenait pas aux grévistes, mais celui-ci ne leur fut jamais communiqué. 

Durant le mois précédant la grève, nos délégué·es nous assuraient qu’ils ne savaient toujours pas quand la grève serait déclenchée ni même si elle le serait. Une telle posture avait sans doute pour objectif de démontrer que le syndicat ne prenait pas les sacrifices liées à une grève à la légère, que celle-ci ne serait déclenchée que si le syndicat n’avait aucune autre option pour faire fléchir le gouvernement. Mais de par l’opacité de ces calculs, le syndicat plaçait ses membres dans le rôle de spectateurs.

Au quotidien, pour l’essentiel, la grève, et tout ce qui l’a précédée, fut vécue par les enseignantes au niveau local, dans leurs écoles. Les expériences ont donc pu varier grandement selon la dynamique interne propre à chacun de ces établissements. Les délégations syndicales ont occupé une place prépondérante durant les événements, transmettant aux membres les informations qu’elles-mêmes recevaient au compte-goutte. Les délégué·es sont des personnes élues dans chacune des écoles, parfois sans opposition, parfois dans le cadre d’un concours de popularité qui a peu à voir avec leurs positions politiques, parfois pour leurs qualités d’administrateur capable de maintenir une bonne entente avec la direction. À l’école Honoré-Mercier, on nous dit souvent qu’on est chanceux. Les délégué·es sont mobilisé·es. De par leur bonne connaissance de la convention, leur rapport constant avec la direction et leur participation assidue aux instances décisionnelles locales, ils et elles influencent la façon dont est administré l’école. C’est ainsi que les mots d’ordre syndicaux quant aux moyens de pression furent bien suivis à Honoré-Mercier. Mais on s’entend: il n’y avait rien de véritablement combatif dans ce qui fut fait.

Dans l’attente de directives claires ou d’informations élémentaires, le corps enseignant est généralement demeuré passif. Pourtant, à mesure que l’on sentait approcher le déclenchement de la grève, tout le monde se faisait une tête, tout le monde se faisait sa petite opinion. Si on avait vraiment voulu que cette grève appartienne aux enseignantes et aux enseignants, la moindre des choses aurait donc été d’organiser des journées de réflexion – quitte à en prévoir lors d’une première journée unique de grève – et surtout une nouvelle assemblée générale décisionnelle pré-grève générale illimitée. Une grève partielle, en prévision de la grève générale illimitée, avait ce potentiel d’offrir un lieu pour discuter du visage que pouvait prendre cette grève, des façons que nous pouvions nous l’approprier. En alternant pendant les premières semaines les jours de grève avec les autres syndicats de travailleuses de l’éducation, la FAE aurait aussi pu réduire le fardeau financier de cette grève sur les épaules des seules enseignantes. Et cette idée était sur les lèvres de beaucoup de gens.

Or chaque fois que nous posions des questions à nos délégué·es quant aux possibilités de lancer des initiatives, on nous répondait  grosso modo : « Pourquoi préparer des choses quand on ne sait même pas si on va réellement tomber en grève, quand elle sera déclenchée ou combien de temps elle durera ? Il ne faut pas aller au devant du syndicat. » Cette réponse frustrante illustre le fossé entre les élu·es syndicaux et la base syndiquée. L’idée même qu’il fallait éliminer la distance entre le syndicat et ses membres était mal accueillie par les délégué·es, qui se concentraient à l’inverse à faire suivre les consignes qu’eux-mêmes, qu’elles-mêmes recevaient d’en haut. On ne peut pas dire qu’ils ne consultaient jamais, mais ils le faisaient dans un cadre précis, sous demande des instances syndicales, et se montraient parfois dérangés par nos initiatives lors de ces consultations. Ce n’est pas que ces syndicalistes ne prenaient pas la lutte au sérieux, qu’ils ne mettaient pas le temps ou les efforts mais peut-être – c’est là du moins l’opinion des exécutifs syndicaux – qu’ils la jugeaient si dangereuse, pour l’avenir même du syndicat, qu’ils croyaient qu’elle ne pouvait être laissée dans les seules mains inexpérimentées de ses membres.

À Honoré-Mercier, à deux reprises, avant la grève, nous avons essayé de provoquer des choses. Notre première tentative a été l’organisation d’une action de solidarité pour les grévistes du Front commun de notre école (personnels de soutien et professionnels) lors d’une première demi-journée de débrayage, le 6 novembre. La date de déclenchement de la grève générale illimitée de la FAE venait tout juste d’être annoncée et nous imaginer sur la ligne de piquetage en soutien à nos collègues avait quelque chose de galvanisant. Notre employeur nous avait cependant averti: nous devions fournir notre prestation de travail, malgré le débrayage, en mode franchissons-les-lignes-de-piquetage-grâce-au-télétravail. Un refus de travailler, une présence sur les lignes de piquetage, etc. nous faisait risquer une perte de salaire ou des mesures disciplinaires. Le syndicat nous conseillait de suivre à la lettre les directives de l’employeur. Malgré les directives de nos employeurs, nous avions convenu d’un plan pour le 6 novembre: les enseignantes, les enseignants de l’école étaient invité·es à se joindre au café du coin pour discuter de la grève et, à la suite de cette rencontre, nous allions rejoindre le personnel de soutien sur la ligne de piquetage quelques minutes avant la fin de leur demi-journée de grève. Nous avons été une dizaine d’enseignantes à participer à l’action. Habités d’une certaine fébrilité, en scandant « même efforts, même salaire » – le personnel de soutien étant moins bien rémunéré que les profs – et en dévoilant pour la première fois une grande bannière qui nous suivra toute la grêve. L’action a été bien accueillie par nos collègues, quoique notre slogan en a laissé quelques-unes plutôt perplexes. Ce jour-là, la FAE a simplement manifesté son soutien aux grévistes en partageant une publication Facebook. L’APPM n’a, elle, organisé aucune action de solidarité sur les lignes de piquetage.

Notre bannière devint un point de ralliement tout au long de la grève. Elle était grande, bien fabriquée et détonnait au milieu du matériel aux couleurs de la FAE. Surtout, le propos de la bannière soulignait à la fois à grands traits ce qu’il y avait de beau et de puissant dans les motivations des grévistes, mais pointait aussi directement les limites du corporatisme syndical. Néanmoins, l’absence d’un discours politique articulé autour de cette bannière – nous n’avons distribué aucun tract de toute la grève – et le fait que nous étions isolé·es dans notre tentative de porter ouvertement un discours social critique suscitaient une certaine méfiance autour de nous… quand on ne se faisait pas carrément accuser de ne pas être profs par d’autres grévistes.

Notre deuxième tentative pour mobiliser nos collègues consistait en une proposition pour la tenue d’assemblées locales régulières durant la grève. Nous l’avons présenté à quelques jours du déclenchement de la grève, alors que les préparatifs en vue de celle-ci dont s’occupaient nos délégué·e·s (horaires de piquetage, organisation de potluck et matériel, etc.) allaient bon train. Que tout le travail d’organisation de la grève s’articulait autour du piquetage n’était pas suffisant à nos yeux. De plus, pour nous, piqueter devant des portes qu’à peu près personne n’avait de raison de franchir ne pouvait constituer notre principale activité politique de la grève. C’est ainsi que nous en sommes venus à présenter la proposition ci-dessous. 

La réception de notre proposition a donné le ton au reste de la grève. Sur la quarantaine de nos collègues réuni·es (nous sommes 58), une forte majorité s’est abstenue, à l’instar de nos délégué·e·s. Pourtant, ni la forme ni le fond de cette proposition ne fut critiquée lors des interventions, mis à part le lieu et la fréquence des assemblées, qui auraient pu être facilement amendées. Nous avons compris après coup que l’idée de former un conseil de grève créa un malaise chez quelques collègues, car cela fut perçu comme un désaveu à l’endroit de nos délégué·es. Au final, la proposition, récoltant autant de votes en faveur qu’en défaveur, ne fut pas adoptée. Nous pensons que la proposition aurait été adoptée si nous l’avions présentée à l’avance à nos collègues, en allant discuter directement avec elles et avec eux. Malheureusement, comme elle a été préparée à la dernière minute, cette initiative fut incomprise. 

Une grève plate…

Par rapport à ce qui était attendu par le syndicat et par la plupart des membres, les délégué·es de Honoré-Mercier ont fait un bon travail de mobilisation. Le personnel enseignant a été présent en bon nombre tout au long de la grève, d’abord sur les lignes de piquetage puis, après l’injonction interdisant les lignes de piquetage, lors des marches quotidiennes, ainsi qu’aux manifestations et autres actions de l’APPM ou de la FAE.

Notre proposition de tenir des assemblées locales durant la grève n’a pas non plus été entièrement ignorée. Nos délégué.e.s ont consenti à tenir chaque jour de petites rencontres informelles au moment où les collègues du premier et du deuxième quart de piquetage se croisaient. Seulement, à l’extérieur d’un petit groupe de collègues qui avait apprécié notre proposition et avec qui nous avons développé une belle relation, nous nous sommes rapidement senti·es écarté·es. D’abord, nous avons voulu proposer une autre activité qu’un piquetage à notre école. Les écoles primaires voisines manquaient d’effectifs pour le piquetage et nous avons donc proposé de nous joindre à elles. La proposition a été rejetée. Ensuite, sans avoir de solution, nous avons voulu discuter de l’aide alimentaire  qui ne serait plus distribuée à cause de la grève aux élèves provenant de familles en difficulté. La chose a été jugée comme hors propos. Rapidement, nous avons donc cessé d’essayer. Et ces assemblées locales sont demeurées  ce que sont maintenant les assemblées syndicales au Québec, à savoir des séances d’information où la délibération est vue comme une perte de temps.

Les délégué·e·s assistaient de leur côté à des conseils de grève, auxquels les membres ordinaires n’étaient pas convié·es. Nous avons pu y assister à une reprise. C’était une honte d’appeler ça des conseils de grève. À peu près aucune délibération. C’était strictement des séances lors desquelles les informations étaient transmises au compte-gouttes et lors desquelles étaient surtout dévoilées l’argumentaire sur lequel le syndicat voulait que les délégué·es s’appuient en discutant avec les membres sur les lignes de piquetage. 

Ce fut une grève historique, paraît-il la plus longue grève de profs du primaire et du secondaire de l’histoire de l’Amérique du Nord. Pourtant, la première et la seule action de perturbation économique n’eut lieu qu’au bout de quatre semaines de grève. De surcroît , il n’y eut de toute la grève aucune contribution intellectuelle ou militante majeure. Les grévistes attendaient, devant les portes des écoles fermées, des informations qui ne venaient jamais. Le gouvernement lui-même faisait semblant de ne pas être ébranlé par la grève, refusant ainsi de lui accorder de l’importance, et parvenant ainsi miner le moral des troupes syndicales. Ce que nous avons vécu, ce ne fut donc pas un mouvement social porteur de changements profonds et durables mais plutôt une simple négociation de convention collective, menée en privé comme d’habitude. À cette négociation s’ajoutait bien sûr ce moyen de pression extraordinaire qu’est la grève, mais sur lequel les membres de la FAE n’avaient aucune prise, puisqu’aucune assemblée générale n’était prévue durant la grève et puisqu’une entente de principe entraînerait automatiquement la fin de la grève avant même que celle-ci puisse être entérinée par les membres. Au final, la grève ne fut pas une grande fête comme le veut le folklore syndical ou encore un moment suspendu dans l’espace-temps où on réinventait le monde, mais à l’inverse une période anxiogène durant laquelle l’individu et les groupes sociaux n’avaient pas de contrôle sur leur destinée.

Et comment s’est terminée cette grève historique? Le Front commun a obtenu sans faire la GGI une hausse salariale en deçà de l’inflation pour l’année 2022 mais au-dessus de ce que le gouvernement s’attendait à lui donner. La Fédération des syndicats de l’enseignement (FSE), membre du Front commun, a entériné une proposition de règlement. Ce faisant, la FAE devenait aux yeux des médias le syndicat avec des demandes excessives. La FAE eut elle-même peur de ne pas obtenir davantage que la FSE en poursuivant la grève. Elle ne voulait pas risquer une campagne de désaffiliation massive et voir son existence être menacée. C’est ainsi que les conditions de la nouvelle convention collective ont en quelque sorte été négociées par un autre syndicat que celui qui était en grève. Cela a pu se produire ainsi essentiellement parce que la grève de la FAE fut une grève passive. À défaut d’avoir une base véritablement mobilisée, qui comprend ce qui se passe à la table des négociations, qui a ses propres lieux de débat à l’extérieur des médias, la FAE ne pouvait que perdre cette grève.

Photo : © André Querry

Et quelle défaite! Après 22 jours de grève, le gouvernement nous promet tout au plus l’ajout de quelques aides à la classe, un nouveau titre d’emploi synonyme de cheap labor, qui viendra remplacer les orthopédagogues, les éducatrices spécialisées et les enseignantes manquantes. Pour le reste, à peu près tout le cahier de demandes de la FAE sera ignoré. Aucun allègement de tâche, rien sur le temps de travail pour se perfectionner, pas de nouvelles classes d’accueil (sauf dans les CSS où aucune classe[!] n’est ouverte), pas de délai maximal pour procéder à une évaluation d’un élève à risque. Vraiment, ça fait dur. Non, contrairement à ce qui était explicitement demandé dans le cahier de demandes, une nouvelle composition de la classe n’offrira pas des conditions d’enseignement et d’apprentissage respectueuses des enseignantes et des élèves, et non, la charge de travail des enseignantes ne sera pas allégée.

Après tout ça, pour l’essentiel, il ne restera en négociation dans le secteur public et parapublic que le syndicat des infirmières, un syndicat qui n’a à peu près pas droit à la grève et dont l’employeur exige d’importants reculs dans leurs déjà très pénibles conditions de travail. Ce qui devait être la grève des femmes s’achèvera donc par l’abandon des infirmières à leur propre sort. Au-delà de la défaite de la FAE, nous avons ainsi assisté dans l’impuissance à la trahison du Front commun, ce Front commun qui doit principalement ce qu’il a obtenu à la grève de la FAE et au capital de sympathie qu’avait dans la population les enseignantes et les infirmières.

La défaite et ses suites

Mais avant que nous soient communiqués les détails de notre défaite, nous avons participé à la bataille de la transparence. Nous sommes entrés en contact, entre autres via des rencontres de La Grande Démission, avec quelques collègues de gauche qu’on connaissait d’avant la grève. Avec elles, nous avons fait circuler sur internet et à Honoré-Mercier une pétition pour que nous soit transmise l’entente de principe, pétition destinée à l’ensemble des membres de l’APPM. Et pour une première fois depuis le début de la grève, alors qu’on avait été tenu dans l’ignorance des négociations durant toute sa durée, les critiques sur les médias sociaux contre l’opacité du syndicat sont devenues la norme. La FAE a fini par reculer et accepter de transmettre l’entente à ses membres.

Il ne fallait quand même pas laisser l’entente de principe être simplement interprétée par les membres. Cette défaite, on a d’abord voulu en faire une victoire. Et avant d’entendre en assemblée générale de l’APPM Catherine Beauvais-St-Pierre et le reste de l’exécutif nous répéter pendant des heures pourquoi cette mauvaise entente était la meilleure entente possible, nous avons dû entendre nos propres délégué·es syndicaux nous le dire lors d’une assemblée locale.

Nous retenons aussi du processus qui a permis d’entériner l’entente de principe que seulement cinq syndicats sur neuf ont voté en faveur, que trois de ces cinq syndicats ont voté en faveur à 51 ou à 52%, qu’en nombre absolu une majorité d’enseignantes et d’enseignantes de la FAE qui ont voté en assemblée générale s’y sont opposé·es, et surtout que, si les prétendus syndicalistes de la FAE auraient appelé à voter contre cette entente, elle aurait été rejetée. Les exécutifs de l’APPM et de la FAE se placèrent au moment décisif à droite de leur base.

L’heure des bilans a sonné au mois de mars. Un exercice de consultation a été commandé par l’exécutif de l’APPM. Les écoles étaient libres d’organiser la consultation comme elles le souhaitaient.  Chez nous, les délégués ont opté pour des rencontres en sous-groupes plutôt que pour une assemblée syndicale. Les sujets sur lesquels nous avions à nous prononcer étaient les suivants: les communications, la mobilisation et les instances. Chacun de ces points se déclinait en différentes questions. Au total, nous devions nous exprimer sur un peu plus d’une dizaine de questions, et ce, en 50 minutes. Nos réponses allaient être colligées par les déléguées qui les partageaient ensuite à leurs collègues lors d’une assemblée de personnes déléguées. 

Fidèles à notre attitude, nous avons souhaité pousser l’exercice un peu plus loin et nous avons demandé à ce qu’une assemblée de mise en commun du fruit de nos réflexions en sous-groupe ait lieu. Après un refus initial, nos délégué·es ont reculé et accepté d’appliquer ce qui était en fait la consigne de l’APPM. Or l’assemblée de mise en commun n’a pas été considérée comme une priorité par ceux chargés de l’organiser, de sorte que nous n’avons pas réussi à maintenir le quorum. Parmi ces propositions, une seule a pu être proposée puis adoptée par nos collègues après que ceux-ci l’aient amendée pour en retirer la partie la plus radicale, soit celle concernant la réduction de la prime salariale des élu·es syndicaux. Par manque de quorum, nos autres idées n’ont pu être discutées. Encore une fois, il nous aurait sans doute fallu aller davantage à la rencontre de nos collègues en amont de cette assemblée si nous voulions faire adopter des propositions parfois clivantes. 

*****

Proposition sur le fonds de grève

  • Que les membres de la FAE commencent dès cette année à cotiser à un fonds de grève;
  • Que ce fonds de grève soit partiellement financé à même une réduction importante des frais de représentation (dont les primes salariales); 
  • Que ce fonds de grève soit partiellement financé à même une diminution importante du budget lié à la publicité dans les médias ainsi qu’à la production et à la distribution d’articles promotionnels à l’effigie du syndicat; 
  • Que, en temps de grève, l’aide monétaire venant du fonds soit donnée à tous les membres sans égard aux nombres d’heures de piquetage effectuées;

Proposition sur les statuts et règlements 

  • Que le temps de parole prioritaire donné aux représentant.e.s du syndicat soit limité à 30 minutes par assemblée;
  • Que le syndicat cherche de nouveaux moyens pour préparer ses membres aux AG : vidéo explicative ou de présentation, diffusion de documents.
  • Que l’entente de principe soit diffusée aux membres avant la tenue de l’AG de vote sur l’acceptation ou le rejet de ladite entente. 

Proposition de statuts et règlements sur l’Assemblée d’unité de négociation (AUN):

  • Que le déclenchement de la grève soit voté en AUN.
  • Que la fin de la grève soit votée en AUN.
  • Que des AUN supplémentaires soient organisées de façon ponctuelle lors d’une négociation. 
  • Que, dans une optique de transparence et de mobilisation, le syndicat cherche à développer de nouveaux moyens pour faire connaître en détail les pourparlers des tables de négociation. 

Proposition pour la tenue d’une AG pour faire le bilan de la grève

  • Considérant la mobilisation sans précédent, les efforts remarquables et les sacrifices des membres de l’APPM durant la grève; 
  • Considérant la division notoire à l’issue de la grève quant à son déroulement et à ses résultats;
  • Considérant la volonté exprimée par l’APPM et ses membres de faire un bilan de la grève générale illimitée;
  • Que l’APPM convoque une assemblée générale extraordinaire pour faire un bilan de la grève générale illimitée 2023.
  • Que cette assemblée générale soit destinée à entendre les commentaires des membres sur la grève générale illimitée en formule plénière.

Prélude 

Nous avions voulu croire que la grève des profs serait stimulante, même si nous étions pessimistes quant à son dénouement  – notre première proposition à l’assemblée locale de Honoré-Mercier faisant déjà état du risque d’une ententes à rabais. Au final, nous avons appris bien davantage que nous le pensions au départ, sur nous-mêmes et sur nos limites, sur la façon de discuter avec les collègues et sur les rouages des syndicats. Nous osons croire que cet exercice ne fut pas vain, qu’il nous sera utile sur le plan de l’organisation pour nos luttes à venir. Plutôt qu’être réduit au rôle de spectateur, qu’être réduite au rôle de spectatrice, et malgré les réactions parfois dures de quelques collègues, nous avons eu le courage de prendre la parole et d’agir, même si ce fut souvent maladroitement.

Bien sûr, aussi louables soient-elles, nos initiatives n’ont toutefois pas eu une réelle portée, tant elles ont été isolées. Néanmoins, nous pensons que ces initiatives peuvent montrer une nouvelle voie à suivre. Après le passage dans le mouvement étudiant, les militantes, les militants se trouvent souvent paralysé·es par tout ce qu’il y a à accomplir pour changer le monde. En nous engageant modestement, sans renier la radicalité de nos positions, nous pouvons poser lentement les bases à ce changement. Nous rencontrons des gens, nous développons un discours propre à notre milieu, nous comprenons nos adversaires et nous avançons plutôt que de nous laisser abattre.

L’enseignement est un milieu bien particulier. Il représente deux pôles, la prison et l’usine d’un côté, la pensée, l’altruisme, l’amitié de l’autre. Si la critique de l’enseignement faisait partie intégrante du syndicalisme enseignant des années 1970 au Québec, le syndicalisme actuel s’est enfin porté à la défense des femmes travailleuses, et de ce qu’il y a de beau dans le travail du care qu’elles portent à bout de bras depuis des millénaires. Une véritable grève dans le milieu de l’éducation appellerait à la réappropriation de ces milieux de travail. Elle impliquerait nécessairement toute la société tant la vie des enfants est importante pour leurs parents. Elle pose ultimement et de façon très concrète la question de l’utopie : nous voulons le mieux pour ces enfants, et rien de moins.

Quand on réussit à accomplir de toutes petites choses : faire une proposition, écrire un texte, discuter de politique avec des collègues, ça donne des idées pour réaliser de grandes choses et ça, ça donne le goût de continuer.