En appui aux grèves dans les services sociaux

Leopoldina Fortunati, militante féministe et sociologue italienne

Prise de parole lors d’une discussion publique organisée par La grande démission au café L’Exode à Montréal le 10 mars 2024.

Je veux exprimer un grand merci à toutes les militantes et tous les militants qui ont donné vie à ce cycle de luttes, très précieux, dans les services sociaux. Vous avez dit « ça suffit! » à une politique publique insensée qui investit de moins en moins dans la reproduction sociale.

Les politiciens se plaignent qu’il y ait une baisse continue de la natalité. Ils se plaignent parce qu’ils ne trouvent plus de travailleuses et de travailleurs prêts à travailler à leurs conditions. Ils se plaignent parce qu’il se passe des choses dans les foyers et sur le marché du travail qu’ils ne comprennent pas (comme le phénomène de la grande démission). Ils ne sont pas capables de comprendre et donc d’aborder politiquement la nécessité de la survie de la force de travail comme présupposé fondamental au fonctionnement du système social. Veulent-ils éteindre les gens? Parce que c’est ce qu’ils font par ignorance politique.

Ce sont les mêmes politiciens qui n’ont jamais voulu reconnaître la valeur économique du travail domestique, obligeant les femmes à faire un double travail et les familles peinent à survivre, créant ainsi la plus grande crise de la reproduction de la main-d’œuvre.Ce sont leurs politiques sans cœur qui ont redéfini les relations affectives, forcé les familles à confier l’éducation de leurs enfants aux réseaux sociaux et aux technologies numériques, à expulser les personnes âgées, bref, à nous empêcher de prendre soin les uns des autres.

Ce sont les mêmes politiciens qui ont tout fait pour rendre la vie impossible à ceux et à celles qui travaillent dans les services sociaux et pour détériorer la qualité des services fournis. Les bas salaires et les rythmes de travail épuisants et incontrôlables par les travailleurs et travailleuses risquent de les amener à voir dans les usagers et les usagères des ennemis. De leur côté, les usagers et les usagères, face à la détérioration de la qualité des services sociaux, se rebellent souvent en attaquant les personnes qu’ils ont devant eux : infirmières, médecins, enseignantes, etc.

Mais avec vos luttes, vous créez une barrière solide contre ce désastre annoncé, en organisant des grèves qui ont montré votre pouvoir : sans vous, tout s’arrête et se paralyse. Ces grèves ont identifié et montré le véritable ennemi : les politiciens et les gestionnaires qui mettent en œuvre les politiques sociales sur le dos des travailleurs et travailleuses, des usagers et usagères, et des femmes, en tant qu’ouvrières de la maison.

Lutter pour la reconnaissance de son droit à un salaire approprié et à un temps de travail limité, qui permet de se reproduire soi-même et ses proches en tant que travailleuses et travailleurs mais aussi en tant qu’êtres humains, n’est pas seulement juste mais renforce également le projet de construire une société plus juste, qui prend soin de ses travailleurs et travailleuses (qui sont son le bien le plus précieux), de tous ses citoyens, des générations futures et des personnes âgées, qui ont vécu et travaillé pour le présent et l’avenir de ce pays.

Vos grèves ont sensibilisé les usagers et les usagères des services publics que votre lutte était également en leur faveur. Elles ont sensibilisé les femmes que votre lutte était également en leur faveur. 

Vos grèves ont clairement indiqué qui étaient vos allié·e·s – les usagers et les usagères, et les femmes – pour devenir de plus en plus forts.

Vos grèves ont montré le vrai visage, déshumanisant, de la politique, mais elles ont aussi indiqué la voie de la réhumanisation de la société et d’une reproduction de la main-d’œuvre qui corresponde à nos besoins et désirs et que nous voulons voir reconnue dans sa fonction sociale précieuse également économiquement.

Vous n’êtes pas seules. Des grèves comme celles-ci sont monnaie courante partout : de l’Angleterre à la Corée du Sud, de la France à l’Espagne, de l’Italie aux États-Unis. Vous êtes bien accompagné·e·s. Vous êtes en compagnie de travailleurs et travailleuses comme vous qui ont décidé de mettre un frein à une politique qui mène la reproduction sociale à la dérive. La dimension internationale des grèves dans les services sociaux doit vous conforter dans la justesse de vos luttes.

Ce sont des luttes justes qui profitent à la classe ouvrière dans son ensemble, car elles montrent que l’économie sur les nouvelles embauches de travailleurs et travailleuses et sur les salaires ne fait qu’entraîner nos sociétés à l’échec.

Ces gestionnaires qui montrent aux conseils d’administration des hôpitaux, des maisons de retraite, des écoles à quel point ils sont bons pour « économiser de l’argent » doivent être mis à l’index : ils ne sont pas bons. Ils sont en fait très incompétents car ils ne voient pas – et ne sont donc pas capables d’évaluer – les conséquences sociales désastreuses de ces économies. Mais vous, travailleurs et travailleuses des services sociaux, nous, usagers et usagères, et nous, femmes qui travaillons à la maison, nous savons bien compter.

Les politiciens et les gestionnaires doivent trouver de l’argent à investir dans les services sociaux et la rémunération du travail domestique. C’est seulement ainsi que nous pourrons sortir de cette terrible crise de la reproduction.

Vive les travailleurs et les travailleuses des services sociaux!

Vive les usagers et usagères solidaires de leurs luttes!

Vive les femmes qui luttent pour un salaire au travail domestique