À celles et ceux qui ont atteint leur limite

Valérie Simard, enseignante en adaptation scolaire

Cette fois, c’est une majorité nette qui souhaitait déclencher une grève générale et illimitée, pour faire plier l’employeur. Assez du rythme de travail harassant, de l’augmentation de la charge et de la fragmentation des tâches, de la perte des avantages et de l’imposition du temps supplémentaire, les employées du secteur public allaient utiliser leur poids et leur grande force de résilience pour obtenir de véritables gains. Plusieurs étaient même prêtes à sauter sans parachute; les enseignantes de la Fédération autonome de l’enseignement (FAE) ont ainsi déclenché une GGI sans fonds de grève, qu’elles ont maintenu durant cinq semaines.

Un merveilleux élan, une masse fonceuse et déterminée, un mouvement malheureusement interrompu par sa tête, une négociation qui se conclut sur un énième échec. Qu’est-ce qui reste une fois qu’on a démontré, sans aucune ambiguïté, notre volonté de se battre, lorsqu’on a donné un mandat fort et clair aux personnes chargées de nous représenter et de nous défendre, et qu’on se retrouve à la case départ? Ce n’est plus suffisant de dénoncer le mépris du gouvernement et sa gestion managériale des services sociaux, comme ce n’est plus suffisant de souligner la faillite des syndicats.

Ce qui nous reste comme arme pour reprendre un peu de contrôle sur nos vies et retrouver un peu de dignité, c’est une démission massive et orchestrée. Au cours des dernières années, c’est par milliers que les travailleuses du secteur public – les infirmières et les enseignantes, surtout – ont donné leur démission. Le résultat de cette dernière négociation laisse présager que des milliers d’autres feront de même. Et si au lieu de laisser les analystes économiques et chroniqueurs méditer sur les raisons de ces départs massifs, nous exposions d’une seule voix les raisons qui motivent cette grande démission? 

Et si, ensemble, on avisait de notre démission à venir advenant que le gouvernement n’annonce pas d’ici peu l’abrogation des réformes de la santé et de l’éducation adoptées à la hâte et sous le bâillon au mois de décembre sans que les syndicats ne s’y attaquent sérieusement. L’une et l’autre de ces lois visent justement à nous emprisonner dans les réseaux publics en donnant les moyens à l’employeur de déjouer nos plans de rechanges pour contrer la pénurie de main-d’œuvre. 

Sans détours et sans équivoque : nous refusons de faire un travail qui demande du soin et de l’attention dans des conditions qui nous poussent vers la maltraitance ; nous refusons de suivre une cadence qui nous rend malades ; nous refusons de mettre notre sécurité en péril dans des locaux vétustes. Désormais, nous refusons que nos corps servent à éponger les gâchis des dirigeants. Bien sûr, ce ne sont pas toutes les travailleuses qui peuvent quitter leur poste du jour au lendemain. Mais celles qui le peuvent doivent le faire dans un grand fracas, elles doivent claquer la porte avec assez de force pour faire trembler les charpentes, il faut que les démissions servent une cause qui dépasse le sauvetage individuel.  Les démissions doivent devenir politiques.

J’ai décidé de remettre ma démission au centre de service scolaire qui m’emploie. Comme tout le monde qui en arrive là, j’ai un plan B. Bien sûr qu’en quittant mon poste d’enseignante, j’essuie une baisse de salaire. Mais je ne veux plus subir les contraintes qu’on nous impose pour maintenir à flot un système scolaire en perdition. Tant qu’on ne reconnaîtra pas que la qualité de l’enseignement – de n’importe quel soin ou de n’importe quelle tâche – repose sur la qualité des conditions dans lesquelles on place les travailleuses, je refuserai d’effectuer ce travail.

Nous subissons déjà les conséquences du capitalisme nécrophage au quotidien – la hausse des loyers, des aliments et des transports, la difficulté à trouver un médecin ou un psy, l’isolement, la pollution de l’air et des cours d’eau, les canicules et les incendies, les féminicides, les guerres, les génocides et les famines – nous n’avons pas en plus à servir l’État qui le nourrit pour « gagner notre vie ».

La menace de notre absence ne sera pas sans conséquence et c’est tant mieux. Il faudra bien, un jour, que les responsables paient. C’est à nous d’y voir.

Si vous avez atteint votre limite et que vous envisagez de démissionner prochainement du secteur public, nous vous invitons à entrer en contact avec nous pour tenter l’expérience d’une démission collective. Prière de nous écrire à grandedemission@gmail.com.