
Lettre collective cosignée par des membres de la section 207 du SFPQ
Le Syndicat de la fonction publique et parapublique du Québec (SFPQ) est pour l’interdiction totale des signes religieux à l’ensemble du personnel du secteur public. Cette position a trop peu fait débat dans nos milieux de travail. Comment et quand cette position est devenue la position officielle de la SFPQ? En avril 2021, le congrès national a réitéré sa position contre le port de tout signe religieux par l’ensemble des employé·e·s de l’État. Le débat a été ramené à cette instance à la suite d’une prise de parole du président à l’effet que le projet de loi 21 sur la laïcité de l’État « ne va pas assez loin » et que l’interdiction devrait s’étendre à l’ensemble du personnel du secteur public.
Petit retour en arrière
Le syndicat a commencé à s’intéresser à la question de la laïcité il y a une quinzaine d’années, alors que les « accommodements raisonnables » et la commission Bouchard-Taylor faisaient les manchettes. Des fonctionnaires au bas de l’échelle se retrouvaient avec l’odieu de devoir trancher sur des questions complexes et demandaient des directives plus claires. Les choses ont pris une autre tournure lorsque le collimateur syndical s’est retourné vers ses propres membres.
Ainsi, en 2009, au nom de la « neutralité de l’État », le SFPQ demandait au gouvernement d’étendre le devoir de réserve « à l’appartenance religieuse » et, par conséquent, que sur le milieu de travail « le port de tout symbole religieux devrait y être interdit » [1]. Il se rallie alors à l’idée d’une « charte de la laïcité » qui circule dans les milieux nationalistes, principalement via le Mouvement laïque québécois (MLQ) et le Rassemblement pour la laïcité (RPL). La position est entérinée après coup dans les instances régionales et nationales en 2010 puis au congrès national en avril 2012, quelques mois avant l’élection du Parti québécois et son projet de charte de la laïcité. On voit la position ressurgir en 2016 dans les consultations entourant le projet de loi 62 « favorisant le respect de la neutralité religieuse de l’État », alors que le SFPQ réclame « une Charte de la laïcité pour affirmer clairement la neutralité de l’État et la notion d’égalité homme femme » qui préciserait « que la fonction publique respecte un devoir de réserve religieux, c’est-à-dire qu’il n’y ait aucun signe religieux ostentatoire porté par les employés de la fonction publique » [2]. Puis il réitère la même position en 2019, comme nous l’avons mentionné. Neutralité de l’État, égalité homme-femme, devoir de réserve… mais à quoi cela rime-t-il?
La neutralité de l’État
Le syndicat considère que la « neutralité de l’État s’exprime entre autres par l’image projetée par son personnel » [3] et que celle-ci « doit inclure celle de ses employés dans leur milieu de travail, et pas seulement pour les employés qui occupent des positions d’autorité comme le suggérait la commission Bouchard-Taylor, mais pour tous les employés » [4]. Nous ne sommes pas de cet avis. Les employé·e·s de la fonction publique ne sont pas le visage de l’État et n’ont pas à l’être. Le contrôle sur leur corps et leur image est un terrain de lutte qu’on ne doit certainement pas abandonner au profit de l’employeur. Mais plus encore, le port d’un signe religieux dans l’exercice d’une fonction ne remet en rien en question la séparation de la religion et de l’État. Nous avons conscience de la souffrance vécue par plusieurs à l’époque où le clergé dirigeait des services sociaux comme la santé et l’éducation, mais cela n’a rien à voir. On compare des services publics contrôlés par des autorités cléricales à des fonctions exercées par des employés en échange d’un salaire.
L’égalité entre les femmes et les hommes
Le syndicat ajoute que ces « symboles, qui revêtent une signification importante pour les personnes qui les portent, peuvent être perçus comme dérangeants par les citoyens qui entrent en interaction avec ces personnes ». Ce raisonnement est indissociable du principe d’« égalité entre les femmes et les hommes » réitéré dans chacun des avis syndicaux sur la question. Il suppose que les femmes musulmanes sont davantage soumises aux hommes que les autres qui seraient émancipées et que leur foulard expose des positions qui seraient réactionnaires sur la question de l’égalité des genres. On refuse de reconnaître l’autonomie des femmes musulmanes dans leur cheminement spirituel. On voudrait les « sauver » de la tutelle de leurs père, mari, imam etc. en échangeant une supposée contrainte vestimentaire à une autre. Doit-on d’ailleurs rappeler qu’on ne sauve personne en appelant à la coercition de l’État ou de l’employeur (et dans notre cas, l’un et l’autre)?
Le devoir de réserve
C’est sur le pouvoir de coercition de l’État-employeur que s’appuie ce discours sur la laïcité, en défendant le principe du « devoir de réserve ». C’est un principe énoncé dans la loi sur la fonction publique à l’effet que chaque fonctionnaire « doit faire preuve de neutralité politique dans l’exercice de ses fonctions » (art. 10), mais aussi « faire preuve de réserve dans la manifestation publique de ses opinions politiques » (art. 11). Le SFPQ avance que « [t]out comme il serait impensable de voir des employées et employés de l’État manifester leur appui à l’un des partis politiques présents à l’Assemblée nationale, ou leur appartenance à une opposition extra-parlementaire, le SFPQ estime que les symboles religieux ostentatoires n’ont pas leur place dans la fonction publique puisqu’ils sont contraires au principe de neutralité ». Encore une fois, nous ne sommes pas de cet avis. Comme la loi sur les services essentiels, le devoir de réserve fait partie des raisons pour lesquelles le rapport de force vis-à-vis de l’employeur est si peu à notre avantage dans le secteur public. Il handicape considérablement les possibilités de dynamiser la vie politique dans nos milieux de travail et de s’engager dans la vie militante au sein de nos communautés. Plutôt que de réclamer qu’on restreigne nos libertés en étendant le devoir de réserve aux croyances religieuses, notre union devrait au contraire nous défendre individuellement et collectivement contre la répression de nos libertés politiques prescrite par la loi.
Prendre action
Il y a tant d’acharnement envers les communautés immigrantes ces dernières années et envers les communautés musulmanes en particulier. Cela contribue à créer une sous-classe de travailleuses et de travailleurs pour faire le travail que personne ne veut faire et dans de mauvaises conditions. Nous croyons que la position du SFPQ nous affaiblit et qu’elle devrait être revue. Nous souhaitons donc ouvrir des consultations ou créer des occasions de débat avec les fonctionnaires pour réviser la position du syndicat qui les représente. Nous demandons également à nos délégué·e·s et à nos exécutifs locaux, régionaux et nationaux de s’expliquer. Juste avant la pandémie, nous avions organisé une assemblée de secteur sur l’heure du midi dans laquelle nos collègues et nous-même nous étions positionnés contre. Nous croyons que l’exercice devrait s’étendre à tous les milieux de travail.
Notes
1. SFPQ, Pour une Charte de la laïcité plutôt qu’un projet de loi no. 16 : avis sur le projet de loi favorisant l’action de l’Administration à l’égard de la diversité culturelle présenté à la Commission des relations avec les citoyens, Québec, 2009, p. 6. ⤴
2. SFPQ, Mémoire : projet de loi n°62, 2016, p. 11. ⤴
3. SFPQ, Mémoire sur le projet de loi no 21 présenté à la Commission des institutions, 2019, p. 8. ⤴
4. SFPQ, Mémoire : projet de loi n°62, 2016, p. 11. ⤴