S’organiser comme force d’opposition

Jacob van Loon, Confluence (CC BY-NC 4.0)
François Fillion-Girard, commis de bibliothèque dans le réseau collégial
Sans contredit, la grève est redevenue un enjeu d’actualité. Des grèves du secteur public de 2023 au débrayage à la STM cet automne, en passant par celui des agents.es de bord et des éducatrices en CPE, les travailleurs·euses ont su lutter ces dernières années. Dans le public comme dans le privé, des grèves ont été menées et des ententes de principe ont été refusées. Le cycle de luttes ouvert avec la fin de la pandémie nous offre encore un horizon que nous ne devons pas laisser se refermer. Et pour que ça marche, il nous faudra bloquer la contre-offensive de l’État, organiser l’opposition à la base et ouvrir nos alliances.
Bloquer la contre-offensive de l’État
Face à une base résistante et puissante si organisée, l’État frappe tous azimuts : coupe des services publics, attaque contre l’immigration, restrictions au droit de grève, défense du racisme au nom d’une laïcité fictive, ingérence dans les affaires syndicales. Les minces gains des dernières négociations du secteur public sont résorbés par les coupures de services faisant porter le poids aux travailleurs·euses. Puis, pour freiner les initiatives visant à dénoncer les effets de ces coupures sur les travailleurs·euses comme sur les usagers·ères des services, l’organisation syndicale est remise en question et le droit de grève est circonscrit davantage.
La Loi visant à considérer davantage les besoins de la population en cas de grève ou de lock-out (projet de loi 89 ou loi 14) est un des moyens employés pour atteindre ces fins. Elle vient circonscrire davantage le champ légal de nos actions en donnant notamment au Ministre le pouvoir d’interrompre des conflits de travail ou en ajoutant une liste de nouveaux prétextes pour limiter la grève. On le sait, notre droit de grève est déjà limité dans le temps, réduit ou carrément inexistant dans certains secteurs. De plus, quand nous pouvons l’exercer, nos organisations syndicales viennent trop souvent nous freiner.
L’État joue son rôle en tentant de maintenir l’ordre. On se retrouve devant un cul de sac évident, si les règles ne permettent plus une emprise suffisante sur les travailleurs·euses, on change les règles. Tout simplement.
Toujours les mêmes pièges…
Pour bloquer cette contre-offensive, des écueils sont à éviter. D’abord, il ne faut pas laisser la contestation juridique des lois prendre le dessus sur leur opposition en acte. Sans égard au dénouement d’un procès, pour toute la durée du litige, les conséquences sur notre rapport de force seront importantes. Et puis, si tout ceci est légal, notre opposition doit être la même. Une résistance indépendante des procédures judiciaires s’impose. Par exemple, nous pouvons adopter des propositions de solidarité dans nos assemblées pour être prêts·es à réagir dès qu’un mouvement de grève est interrompu. Dès qu’un groupe sera visé, il faut sortir et le soutenir.
Ensuite, nous ne serons pas complices du racisme d’État. Actuellement, les attaques les plus violentes sont dirigées contre les personnes migrantes. On peut penser au projet de loi C-12 du gouvernement fédéral ou à l’extension de la loi 21 à d’autres catégories du secteur scolaire. Dans le contexte actuel où le nationalisme sert à reconstruire des lignes de fracture, la campagne « Faire front pour le Québec » proposée par les structures syndicales se lit bien mal. On peut même penser à un faux départ; un cri de ralliement qui consolide l’aliénation de la base par les associations syndicales.
Aussi, il faut refuser les discours qui invoquent le compromis social. On entend trop d’oppositions qui parlent en rêvant d’un système de relations de travail brisé par la contre-offensive gouvernementale. Il y aurait un équilibre perdu à retrouver pour assurer la libre-négociation de nos conventions. C’est oublier que la loi n’a jamais été de notre côté. Même s’il est vrai que les réformes actuelles renforcent le pouvoir du patronat, nous n’avons pas à souhaiter un retour à « un système de relations de travail qui aurait fait ses preuves ». Que les salaires ne suivent pas l’inflation et que la majorité des négociations de convention se règlent sans utilisation de la grève ne sont pas des arguments en faveur d’un compromis, mais devraient plutôt nous aiguiller vers l’organisation progressive, autonome et par-delà nos catégories d’emploi.
Finalement, il faut éviter de présenter le stratagème en cours comme celui du parti de la CAQ. Les mécanismes employés actuellement sont appuyés par la plupart des partis de l’opposition, et le recours à ceux-ci n’est pas un phénomène nouveau que l’on parle des lois bâillons ou des attaques contre les travailleurs.ses organisé.es. Il ne faut donc pas se laisser aveugler par l’horizon des élections. Il est plutôt question de former un véritable contrepoids à ce type de réorganisation peu importe le parti en place.
S’organiser à la base et ne plus jouer selon les règles
Notre force, c’est l’organisation progressive dans nos milieux de travail. C’est entre autres d’elle que sont apparues des formes de résistance innovantes comme les sit-in et les démissions en bloc dans les dernières années. C’est à partir de nos milieux que nous pouvons penser la lutte par-delà le cycle des négociations et du cadre légal.
S’organiser dans nos milieux, il ne faut pas le lire comme un repli corporatiste. Au contraire, c’est à partir de ceux-ci que nous pouvons penser les alliances nécessaires. Comme travailleurs.euses du secteur public, c’est évidemment aux usagers·ères de nos services auxquels nous pensons en premier. Effectuant du travail gratuit et subissant les effets néfastes de nos propres services, les usagers·ères sont les allié·es objectifs·ves de nos luttes.
Aux appels à la grève sociale, nous répondrons avec un enthousiasme sceptique. Un enthousiasme, car l’arrêt collectif et concerté du travail est un moyen fort pour bloquer le projet gouvernemental. Un scepticisme, car nous savons combien de fois les centrales ont reculé sur ce genre de propositions. À force d’invoquer la grève sociale sans la faire, on peut vider de son sens la grève elle-même. Bref, il ne faut pas manquer les occasions qui passent sans attendre rien de nos directions syndicales.
Nous comptons faire front avec tout le monde, ne plus jouer selon les règles, nous opposer avec nos collègues au programmes des gouvernements présent et à venir et perturber tout appel à un retour à la normale.
Tract distribué dans le cadre de la manifestation intersyndicale du 29 novembre 2025 à Montréal.