Etienne Simard, bibliotechnicien dans la fonction publique

La fin des classes 2025 coïncidait avec le jour le plus long de l’année, mais aussi avec l’annonce de compressions de plus d’un demi-milliard dans les services aux élèves. Si, d’ordinaire, la mobilisation marque une pause de la Saint-Jean jusqu’à la rentrée, elle ne s’est pas fait attendre cette fois-ci. Le ministre de l’Éducation a été pris de cours. En l’espace de quelques semaines, à coups de manifestations spontanées, de pétitions, de lettres ouvertes et de résolutions dans les conseils d’établissement, les parents d’élèves ont fait reculer le gouvernement. Recul partiel, dirons-nous avec raison, mais recul quand même. Une démonstration de force qui mérite qu’on s’y attarde.
Le pouvoir des parents de restreindre les marges de manœuvre du gouvernement ne dépend pas tant de l’opinion publique ou d’un calcul électoral : il est intimement lié à leurs obligations parentales. L’école met les parents au travail. Il leur revient de veiller à ce que leurs enfants arrivent à l’école propres, nourris, habillés, reposés, en santé et à l’heure. De s’assurer qu’ils ont fait leurs devoirs et préparé leurs examens. De prendre connaissance des communications de l’école sur une base quotidienne et de faire les suivis appropriés auprès de leurs enfants. Les parents d’élèves avec des besoins particuliers participent activement à l’élaboration et à l’application des plans d’intervention. Ils doivent naviguer à travers les aléas bureaucratiques non seulement des structures administratives scolaires, mais aussi de celles de la santé, des services sociaux, de l’aide sociale et de l’immigration. Certains parents d’élèves s’impliquent dans les conseils d’établissement ; d’autres accompagnent la classe à la bibliothèque, dans les sorties et les activités scolaires.
L’État et les employeurs, pour qui l’école a pour mission de former la future main-d’œuvre, connaissent la valeur du travail parental. C’est sur ce dernier que repose la possibilité de faire des économies. Selon le Conseil supérieur de l’éducation, le parcours scolaire s’appuie sur ce qu’il nomme la « collaboration famille–école–communauté ».1 La contribution parentale à l’engagement des élèves dans leur formation constitue la portion non rémunérée du triangle. Le travail que n’assurent plus le personnel scolaire et les organismes communautaires, en raison des compressions, vient alors alourdir le fardeau des parents qui doivent faire leur possible pour compenser et ce, gratuitement. Les parents qui ont les moyens pourront se tourner vers des services privés pour le tutorat, les sports et loisirs, le soutien psychologique, l’orthophonie, l’ergothérapie… les autres devront faire de leur mieux pour jouer tous ces rôles à la fois. Les élèves nouvellement arrivés seront mal accueillis. Les élèves autochtones n’obtiendront pas réparation pour les torts subis à l’école par les générations précédentes.2 Plusieurs enfants auront faim. Bon nombre seront privés d’une aide adaptée et iront grossir le bassin de main-d’œuvre peu qualifiée et bon marché que les chambres de commerce appellent désespérément de leurs vœux. Selon le Regroupement des organismes communautaires québécois de lutte au décrochage, c’est plus de 4 000 élèves qui perdront l’accès aux ressources communautaires cette année.3
Un salaire pour les parents d’élèves
En 2019, année précédant la pandémie, la valeur du travail ménager non rémunéré s’élevait à plus de 34 000 $ par habitant. Quelque 1 200 heures de travail non payées pour les femmes et 850 heures pour les hommes.4 Pour que les parents cessent de faire les frais de l’austérité, il est plus que temps qu’ils revendiquent un salaire pour leur charge parentale, pour chaque tâche qu’implique leur contribution au parcours scolaire. Qu’ils n’acceptent plus que des compressions budgétaires s’appuient sur leur capacité ou non à alourdir leur fardeau. Qu’il revienne plus cher à l’État de transférer la charge aux parents que de maintenir des services accessibles et décents.
Les parents d’élèves ont appuyé massivement les luttes des employé·e·s des services publics, comme on a pu le constater lors de la grève des profs en 2023 et de celle des CPE en 2025. Le moment est venu de les appuyer en retour. Un salaire pour les parents ou des repas gratuits pour l’ensemble des élèves, la fin des devoirs à la maison, des sports et loisirs diversifiés, un soutien psychologique et pédagogique qui soit humanisant, l’accessibilité à l’ensemble des services pour toutes et tous peu importe le statut migratoire de leurs parents, une formation épanouissante qui ne vise pas à faire des élèves de la pure main-d’œuvre exploitable. À chacun selon son besoin.
Cessons d’attendre les prochaines coupures avant d’agir. À force de mouvements défensifs, même quand on gagne, on perd un peu à chaque fois. Tissons patiemment un mouvement offensif pour réclamer non seulement ce qu’on a perdu au fil des décennies, mais ce qu’on croit être les conditions idéales pour l’apprentissage. En refusant de faire ce qu’on attend d’eux et de pallier les coupures, les parents d’élèves renverront les coûts aux employeurs qui en profitent réellement.
Tract distribué les 26 et 30 octobre 2025 à Sherbrooke, Gatineau et Montréal dans le cadre des semaines d’actions contre les coupures en éducation appelées par le mouvement Uni-es pour l’école.
Notes
- Conseil supérieur de l’éducation, Ensemble pour les enfants : une collaboration école, famille et communauté, décembre 2024. ↩︎
- « Compressions dans les écoles : des projets pour les élèves immigrants, autochtones et à besoins particuliers écopent », Journal de Québec, 27 janvier 2025. ↩︎
- Mélanie Marsolais, directrice générale du ROCLD, « Coupures en éducation : 4000 élèves et parents pourraient perdre l’accès aux ressources du communautaire », Journal de Montréal, 25 septembre 2025. ↩︎
- Estimation de la valeur économique du travail ménager non rémunéré au Canada : 2015 à 2019, Statistiques Canada, 2021. ↩︎