La stratégie de la mouette rieuse

Etienne Simard, bibliotechnicien dans la fonction publique
Camille Marcoux, conseillère dans la fonction publique

En marge du mouvement de l’automne 2023, il y a ceux qui ont laissé les autres faire la grève à leur place. C’est le cas du Syndicat des professionnelles et professionnels du gouvernement du Québec (SPGQ) et du Syndicat de la fonction publique et parapublique (SFPQ) qui, à ce jour, ne comptent à leur actif aucun jour de débrayage depuis le début des négociations. Le premier a pourtant adopté un mandat de GGI en novembre, même chose pour l’unité ouvrière du second à la mi-décembre. Pour ce qui est des fonctionnaires du SFPQ, les pressions de la base pour passer au vote le plus rapidement possible sont restées lettres mortes. Quoiqu’en disent les directions syndicales, qui balayent la critique du revers de la main, leur stratégie était évidente : attendre la signature des ententes de principe du Front commun pour réclamer la même chose et profiter de la « clause remorque »1

Les prises de parole depuis le retour des fêtes sont d’ailleurs sans équivoque. « Dans ses messages, le SFPQ demande au gouvernement d’être “juste” et d’offrir “une rémunération équitable” à ses fonctionnaires et à ses ouvriers aussi »2. Le président, Christian Daigle, précisait même : 

«À la suite de l’entente intervenue entre le Front commun et le gouvernement sur une augmentation de 17,4 % sur 5 ans, on espérait recevoir une proposition similaire. Mais non. Nous sommes toujours en attente d’une nouvelle proposition de la part du gouvernement. »3

Le tour de passe passe du SPGQ est tout aussi limpide :

« L’EMPLOYEUR A MENTI… Depuis plusieurs semaines, l’employeur fait miroiter au comité de négociation les augmentations du Front commun, mais elles ne nous ont jamais été déposées. Les offres salariales officielles sont encore à 12,7 % sur cinq ans. »4

Cette stratégie fait penser aux mouettes rieuses qui partagent le butin des autres espèces d’oiseaux sans participer à l’effort de chasse. Malheureusement, cette forme de cleptoparasitisme syndical est non seulement inefficace, mais aussi franchement gênante. 

Lors des dernières négos, qui se déroulaient en plein cœur d’une crise sanitaire, le SFPQ avait dû tenir cinq jours de grève et menacé d’entreprendre le double pour obtenir la même chose que les autres qui, dans leur position de services essentiels en pénurie de main-d’œuvre, jouissaient d’un rapport de force suffisant pour aller chercher des avancées appréciables sans avoir à débrayer. Jusqu’où les bas-salarié·e·s devront aller cette fois-ci pour obtenir la même chose que celles et ceux qui ont interrompu le travail pendant deux à cinq semaines?

Surprise, surprise… Sans moyen de pression les négociations n’évoluent pas, et la mouette rit jaune.

Comme le disent plusieurs de nos collègues, c’est une occasion manquée. Au lieu de faire la grève en différé pour obtenir ce que les autres ont obtenu, il était possible de coordonner nos efforts pour obtenir beaucoup plus. On pourrait d’ailleurs penser que l’adoption d’un mandat de GGI par les membres du SPGQ au mois de novembre, ce qui n’est pas souvent arrivé dans son histoire, reflétait leur volonté de ne pas faire front seul. Il semble que ceux qui ne nous prennent pas au sérieux sont plutôt ceux qui nous représentent. 

Le récit de nos négociations n’est pas terminé. Il n’est pas trop tard pour unir nos forces avec toutes celles et ceux qui négocient comme nous avec le gouvernement-employeur. On pourrait même dire que d’« avoir les services publics à cœur »5, c’est précisément de s’intéresser aux personnes qui y travaillent6. Au lieu de son rôle de spectateur, le personnel de la fonction publique pourrait adopter une position stratégique voire accentuer le rapport de force des syndiqué·e·s. Après tout, la solidarité ça se construit. 

Par exemple, les intervenantes en petite enfance (FIPEQ-CSQ) sont toujours en négociation7. Les employé·e·s du ministère de la Famille connaissent la difficulté de recruter des éducatrices en nombre suffisant, comme les employé·e·s du ministère de l’Emploi et de la solidarité sociale connaissent les sommes investies pour subventionner leur formation ou leur accueil en entreprise. Pourquoi ne pas prendre publiquement position en faveur de leurs revendications? Pareillement, la fonction publique est bien au fait des interventions faites dans le Nord-du-Québec, pourquoi ne pas soutenir l’association des employés du Nord du Québec regroupant les profs et le personnel de soutien8?

À ces possibilités d’alliances s’ajoute celle avec les membres de la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ) qui ont rejeté à 61% l’entente de principe comprenant l’augmentation de 17,4% sur cinq ans. Ce « front commun » est d’autant plus crucial parce que la Loi sur les services essentiels empêche les infirmières, préposées aux bénéficiaires, etc. de débrayer plus d’une heure par quart de travail, ce qui contraint considérablement leur capacité à établir un rapport de force suffisant face à l’employeur. À nous de faire la grève à leur place.

Il devient indéniable que des moyens de pression efficaces comme la grève est la voie qui permettra l’obtention de gains plus importants voire d’une offre patronale sans recul. L’accréditation ouvrière du SFPQ est la seule de la fonction publique à avoir adopter un mandat de grève clair et à l’avoir annoncé comme un moyen envisageable9. Résultat : elle s’est faite offrir la première offre patronale. La cadence des négociations et les gains obtenus seront toujours le reflet de la mobilisation des employé·e·s concerné·e·s. Au tour de la mouette de faire sa part!


Notes

  1. Il s’agit d’une clause inscrite dans une convention collective selon laquelle les gains ou les avantages supérieurs  obtenus pour des emplois similaires dans le reste du secteur public sont automatiquement accordés. ↩︎
  2. Lia Lévesque, «Toujours sans entente avec Québec, le SFPQ lance une campagne», La Presse Canadienne, 5 février 2024: https://www.lapresse.ca/actualites/2024-02-05/negociations-dans-le-secteur-public/toujours-sans-entente-avec-quebec-le-sfpq-lance-une-campagne.php ↩︎
  3. Pierre Vallé, «La fonction publique toujours en attente d’une nouvelle offre», Le Devoir, 16 mars 2024: https://www.ledevoir.com/societe/809037/fonction-publique-toujours-attente-nouvelle-offre ↩︎
  4. SPGQ, Info-Négo : Intensification des négociations – Volume 8 no 28 – 23 février 2024 ↩︎
  5. Le thème d’une manifestation conjointe organisée par le SPGQ et le SFPQ tenue le 5 octobre 2023. ↩︎
  6. Une des thématiques récurrentes pendant les négociations du secteur public a été de démontrer la corrélation directe entre les conditions de travail et la qualité de celui-ci au profit des bénéficiaires. Par exemple, des conditions de travail favorables pour les infirmières sont liées à une amélioration des soins donnés aux patient·e·s. ↩︎
  7. CSQ, «La FIPEQ-CSQ intensifie sa mobilisation», 28 mars 2024: https://www.lacsq.org/actualite/la-fipeq-csq-intensifie-sa-mobilisation/ ↩︎
  8. AENQ, «Toujours en train de négocier dans le Nord», 2024: https://aenq.org/toujours-en-train-de-negocier-dans-le-nord/ ↩︎
  9. SFPQ, «Le personnel Ouvrier prêt pour la grève», 19 décembre 2023: https://www.sfpq.qc.ca/nouvelles/2023-12-19-le-personnel-ouvrier-pret-pour-la-greve/ ↩︎