
Dominique Bordeleau, enseignante en francisation
François Fillion-Girard, agent de soutien en bibliothèque dans le réseau collégial
D’un côté : des votes de grève illimitée qui se prennent à des taux records et une manifestation de 100 000 travailleurs et travailleuses dans la rue. De l’autre : un gouvernement austère qui pense en boss et dont l’unique vision consiste à encadrer, discipliner et intensifier le travail. Un contexte : une résistance prenant la forme de démissions massives dans le secteur public, une économie inflationniste, une crise du logement sans précédent et une bureaucratie syndicale dictant la contestation.
Nous le sentons, il se passe quelque chose. Nous avons vu les votes. Nous avons vu le monde dans les actions. Les collègues dans les écoles et les hôpitaux nous le disent : cette fois-ci, on n’acceptera pas n’importe quoi. Nous partageons cette idée que cette lutte a la possibilité d’interrompre le cycle des défaites mythifiées et des demi-victoires. Nous pouvons commencer à écrire notre histoire : celle de travailleurs et travailleuses désirant reprendre le contrôle sur leur vie et leur lutte.
C’est évident. La lutte des travailleurs et travailleuses du secteur public pour le renouvellement de leurs conventions collectives a de quoi être historique. Pas tant parce que notre lutte suivrait l’histoire des Fronts communs des 50 dernières années. C’est plutôt qu’en reprenant les choses en main, nous avons l’occasion de changer le déroulement habituel de la négo. Mais ça ne se fera pas tout seul. Pour dévier du cours normal des choses, il faut prévoir les coups d’avance.
Nous qui avons voté la grève et nous qui travaillons, nous ne voulons pas que la négo nous échappe.
Ce que nous affrontons, ce n’est pas que le gouvernement : c’est d’abord le mythe d’une contestation orchestrée et encadrée qui tire sa puissance des événements de 1972. Tout vient de là : structure syndicale de négociation centralisée ; division stricte entre activité de mobilisation et négociation, la première étant soumise à la seconde ; stratégie et tactique laissées entre les mains des directions et menace constante d’une loi spéciale ou encore, d’une entente à rabais que l’appareil syndical soumettra aux assemblées.
Pour celles et ceux d’entre nous dont le syndicat n’est pas membre du Front commun, une grande partie de la négo actuelle nous échappe. Les choix corporatistes de nos syndicats nous ont divisés. Pourtant, rien ne nous empêche de faire grève avec tout le monde, de s’engager auprès des autres travailleurs et travailleuses par delà les divisions imposées.
Déjà nous entendons les injonctions à suivre le rythme imposé.
On essaiera de nous convaincre qu’on ne peut pas aller plus loin alors que la grève ouvre des possibilités illimitées. On essaiera de nous dire qu’il faut laisser la négo suivre son cours alors qu’elle devrait être soumise à notre mobilisation. On dira que la grève est à éviter et qu’elle n’est que le dernier recours, alors que c’est par elle que nous retrouvons notre force. On dira que l’indexation de nos salaires vise à faire reconnaître la valeur de notre travail, alors que son prix ne devrait être déterminé que par nos besoins. On limitera nos demandes alors que c’est le moment de les étendre. On nous dira que Noël est une limite alors que ce qu’on nous imposera, nous le vivrons pour les prochaines années. On nous dira qu’il faut régler au plus vite, car le maraudage dans la santé s’en vient. Non seulement ces considérations ne sont pas dans notre intérêt, mais elles nous affaiblissent.
Alors quoi faire ? Comment reprendre le contrôle sur ce qui se passe ?
Alors que la proposition de grève que nous avons adoptée ne contient rien pour résister à l’arsenal légal du gouvernement, nous proposons d’adopter des mandats dans nos assemblées générales pour forcer la tenue d’assemblée de grève en cas de loi spéciale ;
Alors que la tradition syndicale impose le huis-clos sur les ententes de principe, nous proposons d’exiger la diffusion publique des offres avant les assemblées générales;
Alors que la consultation des ag est habituellement une formalité, nous proposons de refuser les offres à rabais dans nos assemblées générales ainsi que toute forme de règlement qui n’est pas à la hauteur de notre mobilisation ;
Alors que nos exécutifs se détachent de leur base, nous allons mettre de la pression sur nos délégué·e·s pour refuser leurs offres ou leurs propositions à réduire nos demandes ;
Alors que plusieurs ne sont pas dans le front commun, nous pouvons proposer de faire grève en même temps que tout le monde ;
En bref, collègues du secteur public, vous êtes invité·e·s à interrompre l’histoire en la reprenant entre vos mains. Ne nous laissons plus prendre de court. Le triomphe n’est pas à chercher dans le passé, il est à organiser dès maintenant.
Tract distribué dès les premières journées de grève de la semaine du 6 novembre 2023.